
La Lettre de Transition Plus
N°32 Printemps 2016
EDITO
Vive l’ÉCHEC !
C’est sous cet intitulé délibérément provocateur que nous vous présentons le thème de ce numéro de printemps.
Nous souhaitons, en effet, inciter à un point de vue différent sur l’échec, porter un regard moins grave et plus constructif qu’à l’habitude.
Mais, me rétorquerez-vous, le regard n’y peut rien changer, un échec est toujours douloureux à vivre, et personne ne peut s’en satisfaire. Même si les choses évoluent, même si dans un environnement difficile et mouvant l’échec est plus facilement admis, même si le management met en valeur aujourd’hui les notions de résilience et de réadaptation, l’échec reste un sujet délicat, voire tabou.
Chez Transition Plus, notre accompagnement des cadres en crise de carrière nous amène à regarder l’échec en face, non comme un drame honteux et culpabilisant, mais comme un événement riche d’enseignements pour l’avenir.
L’échec est la mère du succès, dit un proverbe chinois. Et selon le yogi indien Paramansa Yoganandya, une période d’échec est un moment rêvé pour semer les graines du succès.
Ce que nous disent ces préceptes de sagesse orientale, c’est que l’échec est moins un arrêt qu’une opportunité.
Faudrait-il dès lors échouer dans sa carrière pour la réussir ?
Quelle place, quel rôle donner à l’échec dans nos vies professionnelles ? C’est le thème d’un des articles de cette Lettre.
Parallèlement nous avons interrogé Philippe Rambaud qui, après avoir connu le dépôt de bilan de son entreprise en 2008, a créé 60 000 Rebonds, une association dont l’ambition est d’accompagner les 60 000 entrepreneurs qui font faillite en France chaque année, afin de les aider à rebondir et à ne pas rester sur un échec.
Il nous expose quel traumatisme la faillite représente pour l’entrepreneur en France aujourd’hui, alors que cet échec, s’il peut l’analyser, constitue une opportunité unique, non seulement de rebondir, mais aussi de grandir.
Nous espérons que ces deux articles vous intéresseront. S’ils ont pu modifier, même un peu, votre vision de l’échec, alors… nous aurons réussi !
Cordialement plus.
Domitille Tézé

L’échec : un moment clé de la vie
Philippe Rambaud préside 60 000 Rebonds, une association à but non lucratif qui vient en aide aux entrepreneurs post faillite. Il milite pour un nouveau regard sur l’échec.
Que représente la liquidation de son entreprise pour un entrepreneur ?
C’est un triple traumatisme : personnel, professionnel et financier. Il est d’autant plus violent que les entrepreneurs ont mis énormément d’eux-mêmes dans leur projet, qu’ils se sont rêvés dans la réussite et qu’ils sont brusquement confrontés à une énorme déception.
La crise personnelle c’est la perte de l’estime de soi, la honte, auxquelles vient s’ajouter parfois un éclatement de la cellule familiale. Il y a aussi le risque de dépression.
Le traumatisme professionnel c’est essentiellement le regard social, celui de la collectivité sur l’individu qui a échoué. Aux Etats-Unis, échouer dans l’entrepreneuriat est vu comme un signe d’apprentissage ; en France, c’est un signe d’incompétence. La personne se dit : je suis nul, je ne vaux plus rien, je me cache. Et ça correspond à une réalité sociale puisque les chasseurs de têtes vous conseillent de ne pas écrire que vous avez fait faillite, que les banques vous considèrent avec suspicion. Tout cela nourrit le sentiment d’avoir commis une faute.
La partie financière a trois aspects : la perte de son capital, l’engagement des cautions personnelles (domicile, domicile des parents ou des enfants, biens personnels) qui concernent 70% des entrepreneurs et l’absence totale de revenus. Contrairement au salarié, qui a la chance d’avoir des amortisseurs qui le protègent s’il perd son emploi, l’entrepreneur, lui, n’en a pas.
Etre entrepreneur, c’est une merveilleuse aventure mais il faut anticiper l’échec. La probabilité de l’échec d’une entreprise est forte. 50% ne passent pas cinq ans, 80% ne passent pas huit ans. Il y a des manières de se protéger : ne pas prendre des cautions bancaires personnelles, prendre une assurance chômage volontaire, initier un plan B (c’est-à-dire un projet alternatif au cas où le projet actuel ne marche plus) et veiller à ne pas rester isolé. La grande brutalité de la post-liquidation réveille des vulnérabilités qu’on porte depuis l’enfance, à commencer par la croyance dans le mythe idéaliste de l’héroïsme et du succès.
L’échec peut-il être positif pour un entrepreneur ?
Oui et quand on le travaille, non seulement on rebondit, mais on grandit. Aux Etats-Unis les fonds d’investissement me disaient que tant que je n’aurais pas connu la faillite, je resterais un junior, je ne serais pas un entrepreneur légitime et costaud. Ils demandent à voir des cicatrices, comme à un soldat à qui on demande de prouver qu’il est allé au feu. Prouvez-moi que vous avez vécu des choses difficiles et là, je saurai que vous avez appris.
En France, on se considère comme une caste qui vit à l’abri des échecs. On n’a aucune culture de l’échec. Les parents et l’école ne nous éduquent pas à l’échec mais à la réussite.
Il ne s’agit pas de faire la gloire de l’échec mais de comprendre que c’est un moment clé de la vie, un moment extraordinaire pour apprendre. Est-ce que l’école le dit à l’enfant qui a échoué ? Non. On le met sur une voie de garage. D’où le sentiment de désespérance, parce que l’enfant qui se sent exclu n’est pas très loin de l’adulte qui vient de faire faillite.
Quelle différence y a t-il entre la France et les Etats-Unis ?
Il y a une grande différence entre l’Europe et les Etats-Unis. En Europe, il y a un sentiment de culpabilité et de honte chez celui qui échoue. Ce qui est typiquement français, et qu’on ne retrouve pas autant ailleurs en Europe, c’est le concept d’égalité : en France, on n’aime pas l’échec mais on n’aime pas non plus la réussite, surtout quand elle est éclatante, arrogante. Aux Etats-Unis on accepte l’étalage de la réussite (qui nous choque) mais on accepte mieux l’échec.
Comment travailler l’échec ?
Par la remise en cause. Qu’est-ce qui est dû à moi ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Le plus important à identifier, ce sont les erreurs de comportement parce qu’elles sont insidieuses, qu’on ne les détecte pas toujours et qu’elles sont liées à notre tempérament. Elles ne se résument pas à nos forces et faiblesses, c’est plus complexe : nous avons des talents, mais à chaque talent correspond en général une vulnérabilité. Il faut l’accepter, ce sont les deux faces d’une même pièce de monnaie ; pousser les curseurs de ses talents, oui c’est essentiel, mais savoir se protéger des vulnérabilités inhérentes est une nécessité.
Aujourd’hui il faut apprendre à se connaître. Dans les métiers qui vont devenir de plus en plus des métiers de services, ce sont nos qualités humaines et émotionnelles qui feront la différence. Mais connaître la puissance qui est en nous, la générer, apprendre à s’en servir, qui peut nous l’apprendre ? Comment forer notre gisement de puissance ? C’est le travail de l’échec qui peut nous le permettre et nous faire grandir.
Aujourd’hui, on est au tout début de ce processus. Et il soulève des questions : que fait-on des gens qui n’ont pas échoué ? Ne déstabilise-t-on pas une partie de nos élites ? A-t-on les équipes pour aider les gens à travailler l’échec ? A l’école, qui va apprendre aux professeurs à changer de posture ? Et dans l’entreprise, comment aider les cadres à gérer les échecs de leurs collaborateurs, et les patrons ceux de leurs cadres ? Ça prendra des années. Mais je suis convaincu que ça représente un énorme gisement de puissance pour nos sociétés, et en particulier pour la société française.
Faut-il échouer dans sa carrière pour la réussir ?
Qu’est-ce que l’échec dans une carrière ?
Est-ce le fait de ne pas avoir atteint les objectifs qu’on s’était fixés ? Ou le fait de ne pas voir ses réalisations professionnelles reconnues par son entourage ?
Dans les deux cas, l’échec professionnel reste une notion subjective. Certains peuvent considérer qu’ils ont réussi là où on ne leur accorde pas forcément le bénéfice du succès, quand d’autres, a contrario, trouvent insuffisant un parcours professionnel qui force l’admiration de leur entourage.
Dans une carrière l’échec n’est jamais définitif : il peut s’avérer être une étape décisive, parfois même une condition, du succès. En regardant des parcours professionnels réussis, il est fréquent d’y trouver des phases d’échec, plus ou moins importantes. Le cas de Steve Jobs, écarté en 1985 de la société qu’il avait fondée pour y revenir 12 ans plus tard avec le succès que l’on sait, est exemplaire.
L’échec peut en effet donner les chances d’une réussite nouvelle car il offre un temps de recul et l’occasion de mieux se connaître. Je ne le comprenais pas encore à l’époque, a déclaré Steve Jobs, mais avoir été viré d’Apple a été la meilleure chose qui pouvait m’arriver. Cela m’a libéré et m’a permis d’entrer dans une des périodes les plus créatives de ma vie.
Un échec professionnel peut donner matière à réflexion… à condition de mener la réflexion. Un échec non analysé non seulement ne sert à rien, mais peut être dévastateur et entamer la confiance en soi. Pour l’analyser, il est essentiel de le reconnaître, de reconnaître les émotions qu’il a déclenchées (frustration, colère, aigreur…) de l’accepter et de le relativiser : considérer que ça n’est pas si grave et se tourner vers l’avenir en décidant ce qu’on fera de différent désormais.
Celui qui reste dans le déni de l’échec n’en apprend rien. Tout comme celui qui pense qu’il est la faute des autres et qui refuse sa part de responsabilité. Ceux qui n’examinent pas lucidement leur échec fonceront tête baissée pour le reproduire, voire l’amplifier. A l’image de la mouche qui, se cognant au carreau, reprend son élan pour se fracasser de plus belle.
Dans la carrière, l’échec est lié à la prise de risque. Plus on prend de risques, plus on augmente la probabilité d’échouer, mais plus on crée les conditions d’une évolution. La carrière ressemble à l’équitation [1] : si on n’accepte pas de tomber, on ne peut pas progresser.
C’est à l’intérieur de sa zone de confort qu’on a le plus de chances de réussir. Mais pour en connaître les délimitations, il faut les avoir franchies, et avoir donc pris le risque de l’échec. Courir son risque, se brûler les ailes, ne pas toujours réussir est le prix à payer pour cette connaissance.
L’absence d’échec dans une carrière pourrait-il alors signifier qu’on n’a pas cherché à évoluer assez, qu’on n’a jamais osé quitter sa zone de certitude et de confort ?
Et si l’absence d’échec, d’un certain point de vue, était une forme d’échec ?…
[1] Le mot carrière vient d’ailleurs de l’équitation où il désigne un champ de course hippique.