Quelles sont les aspirations professionnelles d’un 18-30 ans aujourd’hui ?
La première c’est de continuer à se former et à se développer. Time la résumait dans un titre : Ne me managez pas, développez-moi. Aujourd’hui, alors qu’on parle moins de métiers que de compétences, qu’on sait qu’on changera de job plusieurs fois, le premier objectif de carrière des jeunes en sortant d’école est de rester employable, de continuer à acquérir des compétences techniques et comportementales.
Deuxième aspiration : ne pas s’ennuyer, trouver de la diversité dans les missions confiées. La génération des quinquas restait environ 36 mois dans le premier poste. Celle des quadras 27 mois. Aujourd'hui, c'est 22 mois. Ce n’est pas que le syndrome déceptif arrive plus vite, c’est que le champ des possibles est plus large. Pour un jeune, occuper un poste pendant trois ans - plus de 10 % de la durée de sa vie - est irréaliste. Cette génération ne veut ni s’ennuyer ni n’occuper qu’une seule mission : elle veut une succession de projets et de missions plutôt qu’une longue carrière. Elle ne se projette pas dans une entreprise à long terme
Troisième aspiration : mesurer l’impact de son job. C'est cela qui donne du sens à son travail et c'est pour cela que les jeunes plébiscitent la petite structure, l’entreprise à taille humaine ou la création d’entreprise (éventuellement la grande entreprise si elle leur donne la possibilité d'une succession de missions). Voir la finalité de ce qu'ils font est fondamental pour eux. Ils veulent un alignement entre leurs valeurs et celles de l’entreprise mais ils ont aussi besoin que leur poste ait une utilité sociale et qu'ils puissent la mesurer. Ce n’est pas seulement au niveau de la raison d’être de l’entreprise que se joue le sens de leur engagement, c’est au niveau de leur poste. Les entreprises ne parviendront ni à fidéliser ni à engager ces jeunes s’ils n’en voient pas l’impact.
Il y a ensuite des aspirations selon des catégories de personnes. Certains veulent un poste avec une dimension internationale : mission ou poste à l’étranger, travail dans une équipe mixte internationale... D’autres ont le souci de la stabilité professionnelle, qui s’est aujourd’hui renforcé après dix années très favorables pour les jeunes diplômés. D’autres veulent entreprendre, au sein d’une entreprise existante ou pas. On a aussi les collaboratifs qui font attention à la connivence de pensée avec l’équipe dans laquelle ils travaillent. Et enfin les éthiques, qui placent le sens avant tout, et acceptent pour cela des sacrifices en termes de carrière et de salaire, se dirigent vers des jobs plus manuels ou vers l’économie sociale et solidaire. Ils ne sont pas majoritaires, on en parle sans doute plus qu’ils ne sont en réalité, mais c'est un groupe identifié.
Pour les entreprises, comprendre les aspirations de ces jeunes avant de les recruter leur permet d’adapter leur mode de management et d’intégration.
Quels conseils donneriez-vous à un manager pour motiver ces jeunes ?
Jusqu'à l’âge de 30 ans, on se construit, on construit son expérience, on n’a peur de rien, on bouge. Aussi est-il très difficile de retenir ces jeunes. Il faut savoir aussi bien les on-boarder, les intégrer, que savoir les off-boarder, les faire sereinement partir en leur disant qu'ils seront les bienvenus s’ils reviennent. On parle d’ailleurs de génération boomerang, qui part sans se fâcher, alors qu’avant il était inimaginable de revenir dans l’entreprise qu'on avait quittée.
Pour intégrer ces jeunes, de grandes entreprises ont développé des graduate programs, des programmes offerts à l’issue des études pour montrer la réalité de l’entreprise, sous forme de rotations sur trois ou quatre postes, parfois à l’étranger. Cela satisfait les aspirations à l’international, à ne pas s’ennuyer, à varier ses missions et à tester plusieurs choses pour s’insérer et rester dans l’entreprise. C'est un dispositif bien adapté mais coûteux.
Le management adapté consiste en un accompagnement de proximité, avec un rythme inverse à celui de l’entretien annuel d’évaluation. Les jeunes sont preneurs d’un feedback très régulier, pas quotidien mais presque. Ils attendent l’accompagnement d’un manager de compétence, qu’ils respectent pour ses compétences propres et qui sait aussi développer les leurs, les rendre plus employables d’une année sur l’autre.
Un manager qui donne confiance et qui fait confiance. Ils ne refusent pas l’autorité, mais ils refusent une autorité purement statutaire. Avec cette jeune génération, le manager statutaire a peu de chances de réussir.
Les 18-30 ans aiment-ils l’entreprise ?
Oui. Ils en ont une vision positive en tant que moteur d’innovation, qui permet de créer de la croissance, de l’emploi. Ils la trouvent intéressante, voire passionnante et en parlent comme d’une aventure collective qu'ils veulent vivre : un peu comme sur un terrain de sport où on réussit ensemble. Ils sont confiants dans la capacité de l’entreprise pour changer les choses.
Même les Éthiques, qui veulent changer le monde, font confiance à l’entreprise pour cela. Il y a deux ans, la moitié d’une promotion de l’Ecole des Mines avait un ruban vert lors de la remise des diplômes, qui signifiait qu’ils ne voulaient travailler qu’avec une entreprise dont ils partageaient les valeurs. Et l’autre moitié disait : on accepte d’aller dans des entreprises dont on ne partage pas les valeurs, mais pour les faire changer.
Dans tous les cas, ils ont une vision de l’entreprise comme un vecteur de leur propre changement à eux, et aussi du changement du monde. C'est finalement une position très pragmatique : je m’engage si l’entreprise s’engage.
La seule chose qu'ils reprochent à l’entreprise c'est d’être complexe, trop verticale, et pas toujours très juste.
En quoi cette génération préfigure-t-elle le monde du travail de demain ?
Dans le monde du travail de demain les compétences auront remplacé les métiers, il deviendra nécessaire de se former tout le temps : comme la compétence deviendra vite caduque, savoir penser sera la grande force. C'est ce qui permettra à cette génération, confrontée à l’intelligence artificielle, de trouver qu’un plus un peut faire plus que deux. Plus qu’aujourd’hui, il faudra développer son imagination, sa créativité, son esprit critique pour challenger l’intelligence artificielle et inventer de nouveaux modèles. C'est évidemment un monde dans lequel l’agilité sera fondamentale et où la collaboration et l’intelligence collective prendront de nouvelles formes avec un mix de distanciel et de présentiel. On a encore des progrès à faire sur ces points et je pense que cette génération les fera.
Je pense qu’elle rendra l’entreprise plus simple, moins verticale et, alors qu’on lui reproche d’être un peu dilettante et touche-à-tout, je crois qu’elle sait très bien s’adapter au fameux monde VUCA (volatile, incertain, complexe, ambigu) qui s’annonce.
Je trouve que c'est une super génération, très attachante et j’ai une grande confiance dans sa capacité à changer le monde en bien.