
La Lettre de Transition Plus
N°31 Automne 2015
EDITO
Dimanche 13 septembre 2015, Claire Chazal présente son dernier journal télévisé sur TF1. En fin d’émission, dans une courte déclaration, elle prend congé des téléspectateurs qu’elle remercie de leur fidélité, déclare sa fierté d’avoir présenté les informations pendant 24 ans, témoigne sa tristesse de ne bientôt plus le faire et souhaite à sa successeuse tous les bonheurs qu’elle a connus. Le journal enregistre un record d’audience et le départ de l’animatrice est salué par l’ensemble des médias, qui en soulignent la dignité, l’élégance, le professionnalisme et la justesse émotionnelle.L’au revoir de cette grande professionnelle est exemplaire d’une communication réussie et illustre parfaitement le thème de notre numéro : communiquer son départ.
Car que ce soit devant des millions de spectateurs ou dans un cercle professionnel et personnel plus restreint, communiquer au moment d’une séparation s’avère toujours délicat et difficile : que dire ? quand ? à qui ? comment présenter les choses ? comment éviter que les réactions émotionnelles ne compromettent ses intérêts ?
Pour traiter ces questions, nous avons interviewé Rosa Rossignol, consultante en ressources humaines, spécialisée sur la mobilité et auteur de Gérer efficacement un départ aux éditions Dunod. Elle nous explique pourquoi la communication de départ doit être considérée comme un moment clé dans une carrière et comment l’entreprise et le cadre doivent conjointement l’aborder avec courage, professionnalisme et humanité.
Sous la forme des 10 commandements de la communication de départ, nous avons en parallèle listé les erreurs les plus souvent commises et les conseils qu’il nous semble profitable de suivre en matière de communication de départ.
Espérant que ce numéro vous intéressera, et qu’il pourra être utile, à vous ou l’un de vos proches, aujourd’hui ou plus tard, je vous en souhaite une bonne lecture
Cordialement plus.
Domitille Tézé

Rosa Rossignol
Consultante en ressources humaines, Rosa Rossignol est spécialisée sur la gestion de la mobilité et des départs. Elle a publié Gérer efficacement un départ* et a réalisé, en collaboration avec le cabinet Oasys, une étude** sur les modalités et les communications de départ auprès de 450 cadres ayant quitté leur entreprise.
Quel est pour vous le sens du mot départ ?
C’est toujours la moitié de quelque chose un départ, c’est à moitié « comment je quitte » et à moitié « comment je me lance dans la transition ». C’est difficile à admettre sur le moment, mais un départ peut être un tremplin vers autre chose. Et ça dépend beaucoup de la façon dont on vous l’a annoncé.
Pourquoi est-il important de bien communiquer au moment d’un départ ?
Parce qu’il y a de plus en plus de départs dans une carrière professionnelle.
La carrière est devenue une succession de cycles, chacun composé de quatre phases :
phase d’accueil dans une entreprise, phase d’évolution, phase de départ puis une phase dont on ne parle jamais : la transition. Cette dernière phase fait aussi partie de la carrière, elle prépare le cycle à venir et se joue pendant la phase de départ.
Il faut donc être professionnel à toutes les étapes : quand on arrive dans l’entreprise, quand on y est, quand on se quitte… et être professionnel dans sa communication de départ.
Dans les manuels de ressources humaines, toutes les phases de la vie en entreprise sont abordées (l’accueil, l’évaluation, la formation, la mobilité…) sauf le départ.
Voilà pourquoi les managers sont démunis et ne savent pas comment se comporter.
C’est une question de courage managérial, celui de prendre le temps de regarder la personne dans les yeux, de lui expliquer le motif réel de la séparation pour qu’elle comprenne ce qui lui est reproché, sans qu’elle se sente remise en cause, elle, car ce qui pose problème dans un départ individuel, ce n’est jamais ce qu’elle est, mais ce qui a été fait à un moment donné. C’est du temps gagné sur le temps passé aux Prud’hommes pour rattraper une trajectoire qui a dévié.
Ensuite on pourra communiquer aux membres de l’équipe, puis aux acteurs plus
éloignés (les partenaires sociaux, les clients, les fournisseurs, les collègues plus lointains, etc.).
Bien communiquer c’est important pour l’entreprise, car tout le monde, à l’interne comme à l’externe, est spectateur du départ. Et pour le cadre, aujourd’hui avec les réseaux, s’il quitte contractuellement l’entreprise, il reste lié au monde de celle-ci.
Il est important de garder une communication constructive ; on ne peut plus se permettre de partir en restant en conflit.
Jusqu’à quel point la communication de l’employeur et celle du cadre
peuvent-elles être en harmonie ?
Ces deux communications sont les deux côtés d’une même situation, il faut que les deux disent la même chose, c’est un travail conjoint : décider ensemble ce qu’on dit à l’extérieur, prendre en compte le besoin de chacun, ne pas commettre d’impairs, respecter les aspects légaux.
L’histoire du départ doit se construire à deux, et cette histoire partagée pourra être utile au cadre pour trouver un nouveau poste. L’employeur doit penser à demander à celui qui part ce dont il a besoin : par exemple, une lettre de référence, un contact, etc.
Or aujourd’hui, lors d’un licenciement, l’entreprise et le cadre ne se mettent d’accord sur une communication que dans 38 % des cas. Et dans trois départs sur quatre, aucun engagement moral de « bonne presse » n’est pris entre les deux parties en cas de contrôle de référence. Il faut pourtant savoir que 97 % des chasseurs de tête font un contrôle de référence.
Vous insistez beaucoup sur l’importance de célébrer le départ, pourquoi ?
C’est important de se dire au revoir. Ceux qui ne le font pas parce qu’ils sont en état de choc le regrettent après.
Dire au revoir, c’est à la fois tracer le trait d’union pour une relation après et voir le verre à moitié plein. Car il n’y a pas que le départ dans la relation qui se termine, il y a eu des projets, des formations, des relations, tout un ensemble de choses qui ne se réduisent pas aux mois de préavis ; il faut célébrer tout ça et dire son envie de garder le contact. Dire au revoir, c’est bien conclure et bien se positionner pour le futur ; ne pas dire au revoir, c’est demeurer tourné vers le passé.
Si vous ne deviez retenir qu’un seul enseignement de l’étude que vous avez conduite, quel serait-il ?
Le grand enseignement de l’étude, c’est que passée la phase difficile du départ, les cadres reprennent possession de leur carrière. Plus ils sont soutenus et accompagnés, plus il y a des bras tendus et des communications
bienveillantes, plus vite ils se remettent en selle et repartent. A posteriori, le départ peut apparaitre comme une opportunité : 51% des cadres ayant vécu un départ contraint disent que finalement, avec le recul, ce fut une bonne chose et 9 sur 10 gardent une image positive de leur employeur.
Mais la résilience, la capacité à rebondir dépend de la préparation. Aujourd’hui la question n’est plus : est-ce qu’il y aura un départ ? mais plutôt : quand est- ce qu’il aura lieu ? Car on sait qu’il y aura un départ. Il faut s’y préparer
* Editions Dunod – avril 2012 – 192 pages
** « Paroles de départ » Carnet d’adresses RH – Oasys 2nd trimestre 2011
LES 10 COMMANDEMENTS DE LA COMMUNICATION DE DÉPART
Erreurs à éviter et conseils à suivre
1. Tu ne te tairas point
Ne pas se réfugier dans le déni ou l’évitement, ne pas essayer de dissimuler la situation, ne pas se cacher, ne pas garder ses sentiments pour soi.
2. Ta fureur tu maîtriseras
Ne pas insulter, ne pas chercher à se venger, résister aux pulsions violentes et toujours se rappeler que si le défoulement peut soulager sur le moment, il altère l’image et compromet des relations qui peuvent s’avérer utiles dans le futur.
3. Tu n’élargiras que peu à peu le cercle de ton public
Communiquer la nouvelle de son départ d’abord à ses proches, réserver l’expression de ses émotions à ses intimes et à des personnes de confiance, attendre de pouvoir parler calmement et rationnellement de sa situation avant de la communiquer à un entourage plus large, personnel et professionnel.
4. Tu te respecteras
Ne pas retourner la colère contre soi, ne pas parler négativement de soi, ne pas se charger d’opprobre, ne pas utiliser de mots dégradants pour décrire le départ, ne négliger ni sa présentation physique, ni son habillement, ni son comportement.
5. Tu n’accableras point tes proches
Ne pas faire porter à son entourage la responsabilité de ce qui arrive, ne pas les culpabiliser, ne pas les inquiéter inutilement, oser demander leur aide et gratifier leur soutien.
6. Ton sang-froid tu montreras
Ne pas exagérer ce qui arrive, ne pas céder à la panique, éviter le catastrophisme, ne pas annuler subitement tous ses projets, se poser, se donner le temps du recul et de la réflexion, attendre avant de contacter son réseau et de chercher de nouvelles opportunités.
7. Tu ne t’isoleras point
Ne pas se traiter soi-même en banni, maintenir des relations sociales, continuer à sortir et à accepter les invitations, s’autoriser à se divertir, chercher dans la compagnie de ceux qui nous soutiennent des sources d’émotions positives.
8. De ta situation clairement tu parleras
Apprendre à parler de son départ, à utiliser des mots simples et clairs qu’on prononcera sans honte ni gène, faire confiance à la compréhension de ceux qui nous écoutent, dominer la crainte de décevoir ceux
dont on recherche l’estime, par exemple ses enfants, ses parents, ses beaux-parents.
9. Positif toujours tu resteras
Ne pas crier à l’injustice, ne pas chercher à se faire plaindre, ne se présenter ni en victime ni en coupable, prendre la situation comme un fait, ne pas insulter l’avenir, s’exprimer en pensant plus à son intérêt à terme qu’à sa satisfaction immédiate.
10. Loyal tu te montreras
Ne pas salir son passé professionnel, ne dénigrer ni sa société ni sa hiérarchie, ne pas menacer, ne pas
calomnier, ne pas faire usage d’informations confidentielles, être professionnel jusqu’à la dernière seconde de sa mission.
Et le demeurer, au delà.
La lettre du Career Crisis Management est éditée par Transition Plus – Dépôt légal : juin 2015.
Directrice de la publication : Domitille Tézé
Comité éditorial : Nicolas Bontron, Marc Joly, Domitille Tézé
Directeur de la rédaction : Michel Clavel – Conception & réalisation : Mathilde Guillemot
Transition Plus – 1 rue de la Banque 75002 Paris – Tél. 01 42 60 10 66 – www.transitionplus.com