La Lettre de Transition Plus
N°29 Printemps 2015
EDITO
Pour ce numéro de notre Lettre du Career Crisis Management, nous avons choisi de traiter un sujet passionnel et sensible : la peur.
La peur est clairement l’émotion la plus partagée par les cadres que nous accompagnons. Elle peut être, selon les personnes
et les situations, plus ou moins forte, plus ou moins reconnue, et diversement exprimée : peur de l’avenir, peur du risque, peur du conflit, peur de l’échec, peur du regard des autres, peur de soi…
La peur est légitime quand on traverse une crise de carrière, mais il n’en demeure
pas moins difficile de vivre avec elle. Comment l’appréhender ? Comment la reconnaître ? Comment l’expliquer ? Comment l’analyser ? Comment la gérer ?
Autant de questions qui se posent, et qui restent longtemps douloureuses tant qu’on les confronte seul.
Frédéric Demarquet, coach et hypno-praticien indépendant, accompagne de nombreuses personnes, dans un cadre professionnel ou privé, pour les aider à gérer leur peur.
En 2013, Il a publié Et si j’osais ! En finir avec ses peurs mode d’emploi, aux éditions Eyrolles. Il nous explique ici ce qu’est la peur, à quel point elle est personnelle et intime, en quoi elle peut être positive. Et surtout pourquoi il est souhaitable de ne pas se sentir coupable d’avoir peur.
Un second article traite plus spécifiquement de la peur ressentie par un cadre dans
sa carrière. Si un peu de peur est stimulante, il arrive un moment où elle peut envahir
la pensée de ce cadre et le paralyser. Quand la peur a pris les commandes dans son esprit, quand il ne raisonne plus qu’à travers elle, alors elle est clairement le signe d’une crise. Qu’est-ce qui se joue à ce moment ? De quoi a-t-on peur au fond ? Comment analyser cette peur ? Qu’en faire ?
Nous espérons que vous trouverez de l’intérêt dans ces deux articles et vous en souhaitons une bonne lecture.
Cordialement plus.
Domitille Tézé
Frédéric Demarquet
Coach, formateur et hypno-praticien indépendant, Frédéric Demarquet intervient en entreprises
et auprès de particuliers sur des sujets variés, dont la gestion des peurs.
Il est l’auteur de Et si j’osais ! En finir avec ses peurs mode d’emploi, aux éditions Eyrolles.
Qu'est-ce que la peur?
C’est une émotion fondamentale comme la tristesse, la colère ou la joie. Les émotions agissent comme des alarmes, elles nous indiquent qu’un de nos besoins n’est pas satisfait. La peur, quand elle apparaît, m’indique que mon besoin de sécurité n’est pas satisfait. L’émotion liée à un besoin non satisfait d’identité est la colère et celle liée à un besoin de donner du sens est la tristesse. La joie est l’émotion qui surgit quand on a le sentiment que tous les besoins sont satisfaits.
Le rôle premier de la peur est donc de nous sécuriser. Ce qui amène à deux conséquences : 1- Il est nécessaire d’avoir peur dans certaines situations : quelqu’un qui n’aurait pas peur se mettrait en danger. 2- Il est souhaitable de ne pas se sentir coupable d’avoir peur.
De quoi a-t-on peur ?
De tout ce qui met notre sécurité en défaut, qui crée un danger pour soi. Il y a les dangers factuels, par exemple un fauve dans la jungle, pour lesquels la peur nous sauve la vie.
Et les dangers liés à nos représentations (notre manière de voir les choses), qui ne sont pas les mêmes pour tout le monde et qui sont ressentis du fait de la représentation.
De quelqu’un qui vous dit qu’il a peur de la couleur jaune, si on voyait ce qui se passe dans son corps à ce moment-là, on verrait effectivement tous les mécanismes de la peur :
la personne a bien peur du jaune. Pour quelle raison ? C’est difficile à déterminer, mais ce qui lui fait peur c’est sa représentation et les associations qui en découlent, issue de ses expériences passées. Face à une peur et pour la faire diminuer, on peut agir soit sur la représentation en la modifiant, soit sur la mise en œuvre d’une action qui va faire reculer la peur, soit directement sur l’émotion en en modifiant l’impact.
Sommes tous égaux face à la peur ?
Non, en partie car nos besoins de sécurité, liés à nos représentations, ne sont pas
les mêmes. Par exemple, sur l’argent : certains, pour se sentir en sécurité, ont besoin
de sentir que tout est bien verrouillé. D’autres peuvent vivre au jour le jour et se sentir en sécurité comme ça.
Il y a aussi de vraies pathologies de la peur et de l’émotion : des gens qui n’ont jamais peur. Ça peut être des pathologies psychiques ou bien physiologiques quand le cerveau n’envoie pas l’information. C’est rare, mais ça existe. Les gens qui ne ressentent jamais la peur doivent faire des apprentissages spécifiques ; c’est le cas aussi de très jeunes enfants qui ignorent certaines peurs comme la peur du vide. C’est par l’apprentissage qu’ils vont pouvoir développer cette alarme spécifique.
Certains enfin éprouvent un vrai plaisir à ressentir la peur et à se mettre un peu en danger mais dans un danger sécurisé (par exemple dans les sports extrêmes ou dans le grand huit). D’autres au contraire n’ont pas du tout cette envie.
Qu'est-ce que la peur empêche ?
Elle peut empêcher des gens de se réaliser et de faire ce qu’ils ont envie. Mais c’est une négociation avec soi-même : si la peur m’empêche de faire ça, est-ce que ça me va ? C’est à chacun de le définir, c’est très personnel. Certaines personnes, par peur, restreignent énormément leur périmètre d’action. Mais c’est à elles de déterminer le périmètre qu’elles veulent retrouver. Pour un accompagnant, coach ou thérapeute, ce qui est important, c’est que la personne récupère ce qu’elle veut récupérer, mais pas au-delà.
Faut-il avoir peur d'avoir peur ?
Pas nécessairement mais la peur de la peur peut entraîner un emballement, comme dans certaines phobies par exemple. Celui qui a une phobie des espaces clos où il y a du monde, comme les transports en commun, aura peur des symptômes de cette peur. C’est le côté désagréable du symptôme. Il l’anticipe, et l’anticipant, en rajoute et le déclenche. Les gens sont souvent stressés de savoir qu’ils vont être stressés. Idem pour la peur. On anticipe la peur, on refuse de l’avoir mais plus on l’évite, plus on a peur : la peur se nourrit de son évitement. A un moment, ce qui fait qu’on n’a plus peur c’est qu’on peut réaffronter ce qu’on ne pouvait pas affronter. Quand j’accompagne des gens qui ont peur d’avoir peur, je participe à modifier le sens de la peur, je leur fais comprendre que la peur a aussi une fonction positive, qu’elle apporte quelque chose à un niveau plus ou moins conscient. Il ne s’agit pas de l’éliminer mais de l’accepter. Je les préviens que la peur réapparaîtra, qu’elle va revenir de temps en temps et que ça n’a rien de dramatique. Comme ça ils apprennent à l’apprivoiser. Il peut être intéressant par exemple d’accepter son trac, quitte même à le provoquer.
Le trac provoque de l’adrénaline, source d’action et d’énergie. Si on s’en débarrasse, est-ce qu’on va être aussi performant ? Il y a des gens à qui j’ai appris à déclencher leur trac pour en jouer, pour y puiser de l’énergie.
Le courage est-il le contraire de la peur ?
Je ne pense pas. Le courage, je crois que c’est d’accepter ses peurs et de faire ce qu’on a à faire avec elles. Le héros n’est pas celui qui n’a jamais peur, c’est celui qui ressent la peur et la transforme en possibilités. Il est important de sortir de l’idée qu’il ne faut jamais avoir peur, de la culpabilité de la peur, du fantasme d’être bien et heureux à tout prix, d’être surhumain. Un monde sans émotion ne serait sûrement pas souhaitable■
PEUR ET CARRIÈRE ?
La peur n’est jamais dans le danger – elle est en nous. STENDHAL
En matière de carrière, la peur peut être positive tant qu’elle agit comme un aiguillon,
un moteur. La peur de mal faire, celle de ne pas être aussi performant que les autres ou de ne pas atteindre ses objectifs conduit à en faire davantage et à se dépasser. Certains dirigeants et managers le savent, qui nourrissent une forme de peur pour entretenir de la motivation.
Mais a contrario, trop de peur paralyse, affole, prive de ses moyens et de son bon sens. Cette peur excessive se manifeste par des effets physiques et nerveux (la boule au ventre, l’insomnie, les réveils d’angoisse, l’irascibilité, l’inhibition).
De quoi a-t-on peur dans ce cas-là ? Le plus souvent, fondamentalement, de perdre son emploi. Avec des incidences plus ou moins bien identifiées et contrôlées.- L’incidence financière tout d’abord qui peut nourrir une peur matérielle, un sentiment d’insécurité de base, et que l’on maitrise en étudiant factuellement les chiffres et la situation.
- La perte de statut et d’image ensuite, qui nourrit une peur de déclassement. La réassurance est plus longue à établir sur cet aspect-là. On peut l’obtenir en se rappelant que des personnes de son entourage ont elles aussi perdu leur emploi tout en ayant gardé notre admiration et notre estime. Aujourd’hui, le licenciement étant devenu plus courant, cette peur est moins forte chez les cadres qu’il y a quelques années.
- Et plus souterrainement enfin, l’obligation d’affronter un moment de vérité. L’obligation de remettre en cause des choix, des positions, des croyances qu’on croyait bien établis, d’analyser sa situation avec l’appréhension de faire face à ses doutes, à sa vulnérabilité, à ses émotions, au premier rang desquelles la peur elle-mêCe qui suppose de la reconnaître et de l’accepter. Travail énorme.
- D’expérience, nous observons là une différence entre les hommes et les femmes : ces dernières, souvent moins confiantes en elles, plus habituées à l’introspection, diront facilement qu’elles “ont peur de perdre leur emploi” quand les hommes, par éducation souvent moins autorisésà reconnaître leurs peurs et leurs émotions, exprimeront que “ça les embêterait de le perdre”.
Aussi, dans une crise de carrière, qu’il s’agisse d’une séparation ou d’un trou d’air professionnel, le rôle du Career Crisis Management est d’abord d’aider le cadre à verbaliser sa peur, ce qui lui permet d’en abaisser l’impact, et le met ensuite dans les conditions pour réfléchir et se projeter. Notre position, à ses côtés, est alors de l’aider à retourner sa peur en énergie positive. Mais pas de la nier ou de l’ignorer.
Car c’est à condition d’accepter sa peur qu’un cadre peut la maîtriser et devenir ainsi acteur du changement dont la crise est le symptôme éprouvant. ■
La lettre de Transition Plus est éditée par Transition Plus
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Directrice de la publication : Domitille Tézé
Comité éditorial : Nicolas Bontron, Valérie Féret-Willaert, Thierry Guinard, Emmanuel Pérard, Marc Joly, Jean de Mesmay, Alix Gautier.
Directeur de la rédaction : Michel Clavel – Conception & réalisation : Mathilde Guillemot. Crédit photos : Milena Perdriel
Dépôt légal : Mars 2015.