La Lettre de Transition Plus
N°45 Automne 2020
A cœur vaillant, rien d’impossible.
Telle était la devise de Jacques Cœur, célèbre marchand, banquier, négociant et armateur du Moyen-Âge, l’un des entrepreneurs les plus talentueux de son temps. L’expression laisse penser que grâce à son courage (qui, étymologiquement, vient du cœur), chacun peut venir à bout de difficultés a priori insurmontables.
Difficultés, instabilité, incertitudes, inquiétudes… En cette rentrée 2020, les raisons de mobiliser notre cœur vaillant ne manquent pas, et nous avons voulu faire du courage le thème de ce numéro d’automne.
Pour cela nous avons interrogé Philippe Bloch, un entrepreneur lui aussi, mais bien d’aujourd’hui, et qui ne cesse de promouvoir l’optimisme et l’audace : fondateur de l’enseigne Colombus Café, business-angel, chroniqueur sur BFM, auteur de Start-Up Academy et de plusieurs livres stimulants sur l’esprit d’entreprise. Nous lui avons demandé quelle était la part du courage dans la vie professionnelle, et particulièrement en cette période de pandémie : à quoi cette situation nouvelle et incertaine pouvait-elle nous encourager ? Ses propos d’entrepreneur, tourné vers l’avenir et l’action, sont particulièrement vivifiants.
En parallèle, nous avons consacré un article sur le rôle du courage dans les crises de carrière : quelles en sont les composantes ? quelle forme prend-il ? comment le mobiliser ? Nous verrons aussi qu’affronter une crise offre l’opportunité de se montrer courageux et d’en sortir ainsi grandi et renforcé.
Nous espérons que vous trouverez de l’intérêt dans ces deux articles… et que vous aurez à cœur de les lire.
Cordialement plus.
Domitille Tézé
PHILIPPE BLOCH
Fondateur de Colombus Café, conférencier et animateur sur BFM Business, Philippe Bloch est l’auteur de Ne me dites plus jamais bon courage et de Ce sera mieux après. Il nous parle ici, en entrepreneur, de la notion de courage dans cette rentrée particulièrement difficile.
Pourquoi n’aimez-vous pas l’expression Bon courage ! ?
C’est une expression que je n’ai jamais supportée et que je supporte encore moins depuis la crise du Covid. Le courage, c’est fait pour affronter l’adversité. Quand on se souhaite bon courage à tout propos, on laisse entendre que ça va être difficile et qu’on va en baver. Je ne suis pas certain qu’on se souhaite bon courage dans les autres langues, ça n’existe pas en anglais par exemple. Le langage a une incidence forte. Prendre un risque en anglais, c’est take a chance. En France, si on avait un peu moins l’obsession du risque et des précautions, et plus de capacité à suivre ses rêves, on n’aurait pas besoin de courage.
Pour être sincère, je crois qu’on n’a pas besoin de courage pour affronter la vie professionnelle, on a besoin de vision, d’enthousiasme, de passion, d’envie, de projets, de rêves… Ou alors le courage, ça peut être de dire : ma passion est à gauche et la réalité est à droite, et je vais avoir le courage de prendre un risque et de vivre une passion.
Comment réagissez-vous à l’expression courage managérial ?
Ah là, je peux comprendre l’emploi du mot courage. Parce que les managers français ne sont pas courageux au sens de : s’écarter des règles, faire confiance aux gens, suivre un chemin qu’ils ne sont pas censés prendre. Demain le management consistera à être respecté et à trouver sa légitimité non par son pouvoir hiérarchique, mais par le charisme et le leadership que lui reconnait son équipe. Le bon manager c’est celui qui prendra des décisions sans demander la permission, et son objectif ultime sera de rendre ses équipes suffisamment en confiance pour prendre elles aussi des décisions sans demander l’autorisation à tout bout de champ. Ce qui suppose le courage de s’éloigner des schémas classiques et de penser qu’on a beaucoup plus de pouvoir qu’on ne le croit. En France, nous manquons de courage managérial et on suit la hiérarchie quand elle commet des erreurs. Essayer des choses, faire confiance aux gens, pratiquer la confiance plutôt que le contrôle… il faut du courage pour ça !
Parce que c’est contre-nature… Dans un monde de plus en plus processé , faire appel au bon sens plutôt qu’au process, c’est une forme de courage parce que ça va complètement à l’encontre des normes acquises. Plus l’entreprise se développe, plus elle crée de la complexité et plus il y a des process. Et plus il y a de process, moins il y a de bon sens.
Celui qui se lève et qui dit, je suis désolé, mais le process est une bêtise, il nous mène dans le mur, il faut qu’on change… celui-là est courageux! Mais c’est un comportement très rare. Et c’est ça qui fait qu’on devient un leader dans une boîte.
De quoi un cadre a-t-il aujourd'hui raison d’avoir peur ?
La vraie peur de la rentrée, pour le salarié c’est de garder son job et pour le dirigeant c’est de garder sa boîte. Globalement, en cette rentrée, la priorité, c’est de survivre. La raison d’avoir peur c’est de ne pas avoir les moyens (ne plus avoir de revenus pour le salarié et manquer de cash pour l’entrepreneur), et c’est aussi le manque de lisibilité. Il va falloir du courage, parce que ça va être assez exceptionnellement tumultueux. Il va falloir beaucoup d’énergie et aussi le bon sens de prévoir les choses, for the best & for the worst.
Quelles opportunités la crise sanitaire peut-elle offrir à un cadre d’entreprise ?
Beaucoup de métiers vont devoir se réinventer durablement, tous ceux qui supposent de la proximité physique par exemple. Le paiement à distance et toutes les technologies qui permettent de limiter les contacts vont faire exploser des métiers. Tout ce qui va tourner autour de la digitalisation accélérée des entreprises va être porteur d’opportunités.
Et au-delà des opportunités business, la crise du Covid-19 a permis à chacun de réfléchir de manière large et d’ouvrir plein de choix. On a eu l’occasion, pendant quelques mois, de se demander ce dont on avait envie, exactement comme dans une phase de transition. On a pu s’interroger, non seulement sur le job qu’on veut faire, mais plus largement sur l’ensemble des aspects qui font une vie : où on habite, avec qui on vit, comment on travaille, à distance ou pas, sur quel rythme, pour faire quoi, selon quel nouveau mode d’emploi, etc. C’est peut-être l’occasion de se dire qu’à partir de là, tout peut se rouvrir, et de penser un peu plus largement aux opportunités. Beaucoup de gens se sont dit que finalement l’argent n’était pas leur seul objectif dans la vie, qu’ils préféraient en avoir un peu moins mais en vivant à un rythme différent, plus apaisé, en voyageant moins, en étant moins toute la journée dans des métros bondés ou des villes surpeuplées. Ceux qui ont aimé le télétravail pendant cette période peuvent se dire qu’ils ont maintenant envie de travailler davantage à la maison. Sans le Covid-19, cette vie, on ne l’aurait ni expérimentée, ni testée. Et là, le courage, c’est d’essayer d’aller vers ses passions et ses envies, plutôt que vers la raison, c’est une attitude d’entrepreneur.
A quoi vous auriez envie d’encourager un cadre d’entreprise, dans ce contexte ?
A ne pas être raisonnable. A prendre tous les risques d’un coup. Se dire que c’est le moment ou jamais. Après, il sera trop tard. J’ai passé quinze ans sur BFM à interroger tous les grands entrepreneurs français. A la question : quel est votre principal regret, ils me répondaient à 100% : ne pas l’avoir fait plus tôt. C’est-à-dire de ne pas avoir quitté un travail qu’ils n’aimaient pas, de ne pas avoir tout de suite sauté sur un vieux truc qu’ils avaient envie de faire, de ne pas avoir osé. Ils disent : ça été dur mais je me suis éclaté. Pour ma part, mes années chez Colombus Café ont été passionnément difficiles. Abominablement difficiles. Mais ça été les années les plus excitantes de ma vie professionnelle. En fait, je n’ai jamais été autant heureux que dans l’adversité.
Tant qu’on ne les a pas testées, on ne connait pas ses limites. Tant qu’on n’a pas été au pied du mur, obligé en permanence de penser différemment, on ne connait pas ses ressources. Ça n’est que dans l’adversité qu’on les teste. Il y a trop de gens qui se donnent de mauvais prétextes et ne vivent pas leurs rêves. Je ne leur demande pas à tous d’être entrepreneur mais j’aimerais dire que l’avantage de l’entrepreneuriat est de nous rendre, non pas libre (car on dépend toujours de ses clients, du business ou du Covid-19), mais indépendant, ce qui, en progressant dans sa vie professionnelle, devient un luxe fantastique. A ceux qui sont déjà titillés par cette envie d’indépendance, je conseillerais de se lancer à fond et d’identifier les métiers à qui le Covid-19 va donner de l’avenir. Et de se lancer… C’est le moment ou jamais. Soyez fou, vivez vos rêves, vous verrez, ça peut très bien marcher.
J’ai une phrase fétiche de Jacques Séguéla : vous devenez vieux le jour où vos regrets prennent le pas sur vos rêves. Ce qui est important c’est d’être drivé par une envie qui est tellement puissante que le courage d’affronter ce qui va à l’encontre sera plus fort que tout. Je n’appelle pas ça du courage, j’appelle ça : la bonne chose à faire. Parce que sinon, effectivement, vos regrets prendront le pas sur vos rêves… ■
Ne me dites plus jamais bon courage – Editions Ventana – Oct. 2013 – 70P.
Ce sera mieux après – Editions Ventana – Juillet 2020 – 133P.
LA FIERTÉ D'AVOIR ÉTÉ COURAGEUX NOUS SORT GRANDIS D'UNE CRISE
Dis, c’est quoi le courage ?
A l’enfant qui nous pose la question, nous illustrerions peut-être notre réponse par une situation qu’il a connue : nous lui dirions, par exemple, qu’il a eu du courage quand il s’est lancé pour la première fois sur son vélo sans ses petites roulettes. Qu’il y avait pour lui un risque (tomber, se faire mal, décevoir…), que c’était une situation inconnue de lui, que ça lui faisait plutôt peur mais qu’il avait osé le faire et qu’il avait réussi.
Cet exemple contient en effet tous les éléments constitutifs d’une situation qui demande du courage : un risque et un danger perçus, une grande part d’inconnu et d’incertitude, la reconnaissance et la domination de sa peur, le dépassement de soi et une part d’audace pour se mettre en action et aller de l’avant.
On retrouve exactement ces éléments dans les moments où un cadre doit faire preuve de courage dans sa carrière : Il y en a de nombreuses (prendre des décisions difficiles, explorer des zones nouvelles, défendre ses convictions en solitaire…) mais une, en particulier, lui demandera beaucoup de courage : la séparation avec son employeur. En effet, tout comme les stabilisateurs d’un vélo, ses repères alors subitement disparaissent (son statut, son image, ses habitudes, son salaire, ses avantages…) et il se retrouve soudain démuni, face à un agenda vide et face au regard des autres.
Le courage qu’il doit mobiliser prend alors deux formes :
- La première c’est celle de sortir d’un éventuel état de sidération, de regarder la vérité en face, de prendre de la hauteur pour considérer sa situation, d’en être pleinement conscient et de l’accepter pour ce qu’elle est : c’est la condition nécessaire pour qu’il puisse tourner la page.
- La seconde c’est de partir, de quitter ce qui est confortable et familier pour oser avancer sur des terrains incertains, nouveaux, pas nécessairement dans la continuité de ce qu’il avait déjà fait. Le courage aussi de tirer les enseignements de la période qui s’achève, d’interroger ses besoins et ses envie réels, d’oser prendre en compte son plaisir dans les nouveaux choix qu’il a à faire.
Chez Transition Plus, notre position à ses côtés, est alors de l’accompagner sur un chemin d’audace, et de l’y encourager, avec discernement.
En traversant cette période turbulente, nos clients découvrent souvent en eux des ressources de courage qu’ils ne soupçonnaient pas toujours. C’est pour eux un motif de fierté qui les renforce sur un nouveau chemin de leur parcours professionnel…et sur leur parcours de vie■
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Dépôt légal : Octobre 2020.