La Lettre de Transition Plus
N°54 Automne 2023
EDITO
Combien gagnez vous?
Aujourd’hui la réponse à cette question n’est pas évidente pour un cadre dirigeant.
Sa rémunération est devenue complexe, composée d’éléments parfois difficiles à valoriser : partie fixe et partie variable, attribution éventuelle d’actions (actuelle ou future), éléments de fidélisation dont on ne connaît pas la valeur à venir, auxquels ajouter des éléments non financiers qui peuvent entrer aussi dans son package…
A chaque étape de sa carrière, il est amené à repenser et négocier cette rémunération avec son employeur. Pas simple.
Que doit-il savoir ? Comment doit-il s’y préparer ? Comment créer les conditions pour que ces discussions soient constructives, à la fois pour lui et pour son interlocuteur ?
C’est à ces questions que nous essaierons de répondre dans cette Lettre consacrée aux négociations des conditions matérielles dans sa carrière.
Pour cela, nous avons eu la chance d’interroger Diane Segalen, qui a fondé un cabinet de recrutement international réputé, spécialisé dans la recherche de dirigeants et de spécialistes de haut niveau. Elle nous dévoilera les conseils qu’elle livre d’une part aux employeurs, d’autre part aux candidats pour bien négocier les éléments de rémunération lors de l’embauche d’un nouveau cadre dirigeant.
En complément, un second article met en avant les trois attitudes, gagnantes selon nous, qui devraient être adoptées par un cadre dirigeant dans les négociations matérielles qu’il mène aux différentes étapes de sa carrière.
Nous espérons que ces articles vous intéresseront, vous ou l’un de vos proches, et que leur lecture vous sera profitable.
Cordialement plus.
Domitille Tézé
Diane Segalen est la fondatrice du cabinet de recrutement international SEGALEN+ASSOCIÉS, spécialisé dans la recherche de dirigeants, d’administrateurs et d’experts.
Dans les négociations de rémunération avec les cadres dirigeants qu’ils souhaitent embaucher, que conseillez-vous à vos clients ?
Depuis la fin du Covid, le rapport de forces employeurs-employés s’est inversé, plutôt en faveur des employés. Historiquement, quand une entreprise faisait un recrutement extérieur, les rémunérations étaient décidées à l’avance, en accord avec les RH et en fonction d’une grille bien établie, on montait une offre de package globale avec divers éléments standardisés. Avec le Covid, les cadres qui ont accepté le risque de bouger ont eu plus d’exigences et ont pu demander des rémunérations individualisées. Et aujourd’hui les entreprises constituent des offres plus souples avec plus de sur-mesure.
L’important pour l’entreprise, c’est d’anticiper. Au début d’une mission de recrutement, il nous arrive d’alerter l’employeur que la rémunération prévue ne lui permettra pas d’attirer le niveau de candidat souhaité. Nous l’aidons à prendre conscience qu’en plus de la rémunération salariale, il existe d’autres avantages que les candidats valorisent : de bonnes mutuelles, des formes d’optimisations fiscales en cas de déplacements à l’étranger, des avantages en nature… et des plans d’intéressement à long terme. Aujourd’hui, les cadres dirigeants souhaitent participer à ces logiques de création de valeurs. Les grands groupes se trouvent en concurrence avec les sociétés sous LBO qui proposent des systèmes d’intéressement où les dirigeants doivent investir mais avec des perspectives de gain multiplié par dix ou vingt, un retour bien plus substantiel que dans les entreprises cotées ou à capitaux familiaux.
J’invite les employeurs à réfléchir aux éléments de rémunération de manière globale en fonction de la nature de leur actionnariat et de leurs objectifs. On n’attire pas les mêmes candidats selon la nature de son actionnariat : celui qui pense à son enrichissement personnel ira vers un LBO où sa perspective de gain à cinq ans sera bien supérieure à celui qui va vers une entreprise familiale, où il aura un bonus mais où il n’y a pas systématiquement de plan d’actionnariat. Entre les deux, il y a l’entreprise cotée. Quant à l’entreprise détenue par l’État, c’est un peu à part : les salaires y sont décidés par le Gouvernement, on y entre pour le côté régalien, pour le goût du secteur.
L’erreur à ne pas commettre serait d’entrer en négociation en pensant qu’à la fin on trouvera toujours un moyen de se mettre d’accord sur la rémunération… Si vous donnez des cacahuètes, vous attirez des singes, comme disent les Anglais. Pour attirer une star, l’employeur doit avoir anticipé ce qu’il est prêt à faire.
Et que conseillez-vous aux candidats ?
Quand un candidat a un intérêt pour une entreprise, il doit annoncer sa rémunération, sans pudeur, en la présentant clairement sur un tableau Excel : la rémunération depuis deux ans, les éléments différés, ce qu’il perd en intéressement s’il démissionne à cette date, etc. Il doit être le plus détaillé et le plus exhaustif possible sur les éléments de sa rémunération et sur son calendrier. Rien de pire qu’un candidat qui donne des chiffres flous et imprécis ou qui ne donne pas de détail.
Le conseil que je donne à ceux qui sont en négociation directe : généralement, au premier rendez-vous, ne pas parler de rémunération, sauf si on vous pose la question. Et si on l’aborde, il vaut mieux vérifier avec l’interlocuteur : est-ce avec vous que je vais discuter ma rémunération ? Voulez-vous que je vous adresse un mail qui retrace tous mes éléments de rémunération ? Parce qu’aujourd’hui, personne n’a un package simple. Je conseille aux candidats de poser la question au cours des entretiens : nous n’avons pas parlé de mon salaire, avec qui voulez-vous que j’en discute, puis-je vous envoyer les éléments qui retracent mon package ?… Si on vous répond oui, c’est un bon signe : ça veut dire qu’on est prêt à faire une offre. Sinon, on vous répond que ce n’est pas encore d’actualité. Autre conseil : ne vous trompez pas d’interlocuteur. Si vous venez pour un poste de DRH et que le Directeur marketing vous demande combien vous êtes payé… restez vigilant. Il ne faut pas que ça soit l’occasion pour les autres de faire monter leur propre package.
Je note que les candidats ne sont généralement pas assez préparés et pas assez clairs sur ce qu’ils veulent (partie fixe et autres éléments de la rémunération). Ils n’aiment pas parler de rémunération, c’est comme se mettre tout nu. Ils n’osent pas se positionner, il y a une pudeur en France, particulièrement pour les femmes. C’est pour ça que je conseille de mettre les éléments de rémunération (niveau actuel et prétentions) sur papier. Enfin il faut que les candidats arrivent à exprimer si leur niveau actuel de rémunération est une frustration et est un des éléments déclencheurs de leur discussion d’aujourd’hui. Il faut le dire, il ne va rien leur arriver ; au pire, on ne leur fera pas d’offre, et ça voudra juste dire que ce n’était pas la bonne entreprise pour eux.
3 attitudes gagnantes pour réussir les négociations matérielles de carrière
Embauche, promotion, mobilité interne, départ… un cadre dirigeant est amené à négocier à chaque moment décisif de sa carrière. Et les enjeux sont importants : au-delà des conditions matérielles, s’y jouent également une bonne part de sa motivation, de son positionnement, de son image et de sa confiance.
Trois attitudes nous semblent déterminantes pour la réussite de ces négociations.
1 - Être partenaire
C’est-à dire penser qu’on ne négocie pas contre mais avec, et que chaque partie a besoin de l’autre.
Cet état d’esprit gagnant-gagnant se concrétise dans des éléments de langage : privilégier le « on » au « je veux », exprimer ses besoins de manière constructive et, plutôt que formuler d’entrée la liste de ses desiderata, commencer par poser des questions ouvertes à son interlocuteur et s’appuyer sur ses réponses pour arriver à son objectif.
Être partenaire c’est aussi être honnête : dire la vérité s’avère toujours payant, en particulier sur son niveau de rémunération actuelle, qui peut toujours être vérifié.
2 - Etre ouvert
Plus on s’élève dans la hiérarchie, plus la rémunération est complexe à appréhender, avec une part de fixe et de variable, une part de rémunération différée, une part dont on connaît la valorisation actuelle mais pas encore la valorisation future, etc. La part fixe étant souvent encadrée par une grille, il faut être ouvert sur les autres éléments de négociation, qui offre plus de latitude. Pour le cadre il s’agit moins de faire une demande et de rester arrêté sur un chiffre que de se montrer force de proposition et de construire avec l’employeur la structure de rémunération qui convient le mieux à chacun.
3 - Se préparer
Pour y parvenir, le cadre doit arriver avec les benchmarks adéquats (position, secteur et niveau), une vision claire de ses compétences, de la valeur ajoutée ou de l’expertise qu’il apporte et des réalisations qu’il a eues sur les derniers mois. S’il s’agit de la prise d’un nouveau poste, il doit bien comprendre les raisons pour lesquelles c’est à lui qu’on le propose.
Se préparer est un travail continu. Même si les négociations ont lieu à un moment donné, c’est tout au long de l’année que l’on doit communiquer sur ce qu’on apporte à l’entreprise afin de le mettre en valeur.
La lettre de Transition Plus est éditée par Transition Plus – 1, rue de la Banque 75002 Paris – Tél 09 67 82 14 55
Directrice de la publication : Domitille Tézé
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Dépôt légal : octobre 2023.