La Lettre de Transition Plus
N°21 Printemps 2012
EDITO
Avec l’arrivée des beaux jours, nous parlerons dans ce numéro d’un thème solaire et heureux : la chance.
La chance, me direz-vous, mais quel rapport avec les crises de carrière ? Et est-ce vraiment un sujet de saison quand le ciel économique est aussi bouché ?
La chance favorise une carrière, bien sûr, et nous connaissons tous des personnes que la réussite professionnelle semble ne jamais quitter, qui paraissent traverser les changements et les crises avec facilité et bonheur. Qu’ont-elles donc de spécial ? Sont-elles favorisées par les astres, nées sous une bonne étoile? Ou doivent-elles d’abord leur chance à elles-mêmes ?
Ce qui nous amène à nous interroger sur ce qu’est la chance au fond : la résultante d’un hasard ou une qualité de l’homme ?
Pour Philippe Gabilliet, professeur de psychologie et de management à l’ESCP et auteur de Eloge de la chance ou l’art de prendre sa vie en main, la chance est une compétence, qui se travaille et se cultive. Dans l’entretien lumineux qu’il nous accordé, il nous explique comment.
Dans un deuxième article nous nous sommes demandé en quoi une crise de carrière peut s’avérer être une chance pour qui en vit une et à quelles conditions on peut la transformer en une opportunité de vie.
Car de nombreux exemples nous le montrent : malgré la crise, malgré un certain pessimisme ambiant, malgré des perspectives qu’on ne cesse de nous présenter comme sombres,
une crise de carrière peut se révéler aujourd’hui être une chance majeure dans sa vie.
Mais à la condition de le croire possible, d’être confiant et optimiste. En matière de chance, la vision du lendemain est avant tout intérieure, et c’est sous son propre ciel qu’on peut voir se dégager les horizons et croire en sa bonne étoile.
Nous espérons que cette lettre contribuera à ensoleiller vos paysages et y apporter de la lumière.
Bonne lecture !
Cordialement plus.
Domitille Tézé
Et si la chance était aussi... une compétence ?
Philippe Gabilliet, professeur de psychologie et management à ESCP Europe, vient de publier Eloge de la chance ou l’art de prendre sa vie en mains *. Considérant la chance moins comme le résultat de hasards que comme une compétence, il nous expose ici comment la développer dans sa carrière… et au delà.
Qu’est ce que la chance ?
C’est la capacité à créer autour de soi les conditions d’apparition des opportunités. Ceux qui ont de la chance sont donc ceux qui savent “gagner les concours de circonstances”. À travers leurs relations, à travers ce qu’ils font, ils ont une capacité à créer des ouvertures et des occasions favorables autour d’eux.
Une opportunité, c’est une circonstance, généralement imprévue, qui en se produisant crée instantanément un espace de possibilités qui n’existait pas auparavant. S’il est très difficile de planifier les opportunités, en revanche il faut être prêt à les accueillir.
Comment se présentent les opportunités dans l’entreprise ?
Après plusieurs années à avoir accompagné des managers et des dirigeants dans leurs carrières, je peux vous dire que les coups de chance, donc les opportunités, se présentent le plus souvent sous quatre formes.
La première ce sont les rencontres opportunes. Je rencontre quelqu’un et en rencontrant cette personne, il se passe quelque chose, une ouverture du champ des possibles, qui n’existait pas dix minutes avant.
Les opportunités se présentent aussi sous forme d’informations-clés, informations qui “tombent à pic” et que je vais saisir car elles viennent en quelque sorte percuter mes préoccupations du moment, mes projets et m’ouvrir un champ de possibilités.
La troisième voie, c’est d’être à l’écoute des décisions qui ont été prises ailleurs. Quand quelqu’un, en prenant une décision à un autre endroit dans l’entreprise, me crée involontairement ou volontairement une possibilité d’action nouvelle que je n’avais
pas jusqu’à présent.
Enfin, et c’est sans doute le secret le plus important pour les opportunités : elles se présentent souvent sous forme de demandes. C’est-à-dire que dans une réunion ou dans une rencontre avec quelqu’un, un client, un collaborateur, mon patron, je vais percevoir une demande d’informations, de soutien, de solutions. Une demande que je suis peut-être pour l’instant le premier à avoir perçue. Et être le premier à percevoir les demandes des autres, c’est aussi ça l’esprit d’opportunité qui fait les grands chanceux !
Est-ce-que tout cela peut se favoriser ? Est-ce que l’on peut créer les conditions pour faire apparaître les opportunités ?
Assez facilement en fait. Par expérience quatre facteurs peuvent vous permettent de les développer.
Le premier facteur c’est la vigilance : pour avoir de la chance, il faut savoir rester attentif à ce qui se passe autour de soi, être curieux. On ne peut pas rencontrer des opportunités nouvelles si on est routinier. Pour les rencontrer, il faut sortir du cadre, changer ses habitudes et rester disponible face à tout ce qui est nouveau autour de soi.
Le deuxième facteur c’est l’anticipation. Pasteur disait “La chance ne favorise que les esprits préparés”. Il n’y a aucune raison d’avoir de la chance pour quoi que ce soit, si on n’y est pas déjà préparé, si on n’a pas un objectif. La chance fonctionne comme une tête chercheuse automatique. Plus on va être habité par un projet, par une attente, par un désir très fort, plus notre machine à percevoir les opportunités sera prête à fonctionner au quart de tour.
Le troisième facteur c’est la connexion avec les autres. Fonctionner en réseau ce n’est pas collectionner des adresses, c’est essayer de mettre les autres en relation, d’identifier par exemple dans la demande de l’un, un contact que l’on a et qui pourrait l’aider, être celui ou celle qui crée les liens. Passez votre temps à mettre les autres en relation et naturellement d’un point de vue systémique, un certain nombre d’opportunités vous reviendront.
Le quatrième et dernier secret de la chance, c’est… quand on n’a pas de chance. Il y a aussi des échecs, des conflits, des drames, des erreurs dans la vie des plus chanceux. Les choses ne se passent pas du tout comme on l’avait prévu. Oui, les chanceux rencontrent autant de difficultés que les malchanceux. Mais ils n’en font pas la même chose ! Parce que la chance, ce n’est pas seulement ce qui vous arrive, c’est ce que vous allez faire avec ce qui va vous arriver ; c’est votre capacité à rebondir, à utiliser un échec, une difficulté, une malchance comme un produit de départ, une espèce de matériau de démarrage pour recommencer autre chose.
Tout cela se pratique chaque jour dans les rencontres, les réunions, les déjeuners, les sessions de formation, les groupes projets. Chaque événement peut être porteur d’opportunités à condition que sa machine à percevoir les occasions de chance fonctionne efficacement.
Et surtout ne jamais oublier ces deux ultimes secrets de la chance. Le premier nous a été donné par Pierre Doré, le fondateur de l’Institut Européen du Leadership : “la meilleure façon pour atteindre ses objectifs dans la vie, c’est d’aider ceux dont on a besoin à atteindre les leurs”.
Ce qui nous conduit tout naturellement au deuxième, qui veut que “la façon la plus efficace de rencontrer régulièrement des opportunités, c’est encore d’en être une soi-même”. ■
LA CRISE DE CARRIÈRE : UNE CHANCE?
L’attitude première dans une crise de carrière est souvent d’en craindre les conséquences, de la considérer comme un coup du sort ou une mauvais passe…
Ce n’est pourtant qu’une question de point de vue… Car quelle qu’en soient la cause et les circonstances, toute crise de carrière offre une chance de quelque chose, constitue une opportunité pour qui sait la voir et la saisir.
Le chanceux sera justement celui qui décidera de regarder la crise sous le bon angle et de s’appuyer sur les nouveautés de la situation pour se bâtir un projet.
Une séparation avec son entreprise est souvent pour un salarié l’opportunité de :
• se poser à un moment où il en avait besoin
• prendre du recul
• se poser des questions qu’il ne s’était jamais posées
• sortir des rails sur lesquels il roulait depuis trop longtemps
• prendre le temps de définir la suite de sa carrière
• s’approprier sa carrière et la prendre en main
• définir un projet de vie professionnelle plus conforme à sa vie personnelle
• se remettre en phase avec ses envies, ses besoins, ses valeurs
• trouver l’entreprise ou le statut dans lequel il se sentira bien
Une séparation est une autorisation. Autorisation de partir, de faire ce qu’on aime, de changer de métier, de créer son entreprise ou son emploi.Autant de projets que la sécurité du salariat empêchait d’entreprendre. D’ailleurs si de nombreux cadres licenciés se lancent dans un projet entrepreneurial auquel ils rêvaient depuis longtemps, bien rares sont ceux qui démissionnent pour créer leur entreprise.
Mais pour faire de la crise une circonstance favorable et la faire tourner du bon côté, il est essentiel de voir la situation présente de manière positive. Et de se projeter de manière constructive dans le futur, de se visualiser dans la réussite, de croire en sa chance.
Car la chance fonctionne comme un acte de foi, comme un cercle vertueux qui s‘entretient de lui-même. Ceux dont on dit qu’ils ont de la chance, croient en eux-mêmes et dans leurs chances d’arriver à ce qu’ils veulent atteindre. Se voyant réussir, ils osent, et osant, ils réussissent.
La chance n’est pas une donnée du sort, c’est une posture psychologique. Ce qui s’avère particulièrement vrai quand on entreprend un projet. D’ailleurs l’expression populaire le dit : ce n’est pas l’audace qui réussit aux chanceux, mais la chance qui sourit aux audacieux.
Pour un cadre supérieur ou dirigeant, pouvoir vivre une séparation comme une opportunité dépend moins de sa situation que de son état d’esprit. De sa capacité à en parler de manière positive, à sourire et à s’ouvrir. De la confiance qu’il aura en lui même, en ses propres ressources comme en sa capacité à convaincre les autres.
Cette croyance positive se charge en énergie, se communique aux autres, et les autres vous la renvoient et vous fortifient.
C’est ce que René Char disait, mais plus poétiquement, dans son célèbre aphorisme : Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront. ■
La lettre de Transition Plus est éditée par Transition Plus
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Directrice de la publication : Domitille Tézé
Comité éditorial : Nicolas Bontron, Valérie Féret-Willaert, Thierry Guinard, Emmanuel Pérard, Marc Joly, Jean de Mesmay, Alix Gautier.
Directeur de la rédaction : Michel Clavel – Conception & réalisation : Mathilde Guillemot. Crédit photos : Milena Perdriel
Dépôt légal : mai 2012.
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